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Pierre BUTTIN
1882 – 1976
Quelques dates, faits et anecdotes :
Né le 3 octobre 1882 à Albens,
Dès sa jeunesse Pierre a donné des signes d'une personnalité singulière. Ainsi aux Balmes, il était résolument végétarien et comme on ne lui reconnaissait pas ce droit, lors des repas il gardait la viande dans sa bouche et il la recrachait à la sortie du repas ! Une fois, ce manège déloyal ayant été percé à jour, Pierre est resté à table jusqu'à 4 heures de l'après-midi surveillé de près par l'une de sa grande-tante Caroline.
Plus tard, il dira que si l'on n'aimait pas quelque chose, il fallait le recracher impitoyablement. Adepte des vertus de la mastication pour améliorer l'absorption et la digestion des aliments il disait : "Il faut mâcher plus de 45 fois chaque bouchée !"
Après des études secondaires au Collège de Rumilly, il passe le Bac chez les jésuites à Lyon, puis il suit les cours d'élève officier de 1899 à 1901 à Saint Cyr. Il en sort sous-lieutenant en 1905, il sera d’abord nommé en garnison à Cherbourg, port militaire, le temps d’être reçu en mars 1906 sur les bateaux de l’escadre de la marine impériale russe de la Baltique. Ils revenaient de l’archipel des Kourilles où ils s’étaient faits étriller par la flotte japonaise. A bord, un contact très cordial et arrosé s’établit entre les officiers russes et français. Pierre apprend que le meilleur champagne est le Mumm parce que même si l’on est complètement ivre on peut toujours tendre son verre est dire : Mumm, Mumm … L’histoire rapporte que, après un repas bien arrosé, Pierre est revenu à terre à la nage suite à un pari.
Après, il est affecté en 1907 au 97ème Régiment d'Infanterie à Chambéry. Il fait une première étude sur les mitrailleuses qui a été lue avec intérêt par les Allemands.
Il épouse Jeanne Porte-Chapuis dont il aura une fille, Hélène, le 12 novembre 1911.
Après un cours séjour en 1914 au Maroc, où il rencontrera Lyautey, il repart pour le front en août 1914, il sera blessé, le 30 août sur le champ de bataille et récupéré par les Allemands. Bien soigné de ses blessures, il sera détenu au Camp de Friedberg avec des officiers russes et Anglais. Libéré en 1917, il devra résider en Suisse, jusqu'à la fin de la guerre. Cette longue captivité va mettre un terme à la perspective d’une carrière militaire rapide.
Après la guerre, il repartira au Maroc ou il sera affecté à Bou-Dnib, fort militaire, aux confins sahariens du Maroc.
Son père Charles Buttin est allé vivre à Paris auprès de l'industriel Pauillac pour réaliser l'expertise de sa collection réputée et en commencer le catalogue. Charles s'arrange pour faire nommer son fils au Musée des Invalides. Pierre, ayant réalisé sa mission d'organisation à Bou-Dnib, obtient son affection au Musée des Invalides. Ainsi, Pierre pourra-t-il dire plus tard, avec fierté, à Lyautey qui était royaliste : "Avant d’être à votre service, j’ai été à celui de l’Empereur; j'ai été gardien du tombeau de Napoléon." Il travaillera avec son père sur les armes et ses études, il rencontre de nombreux experts et collectionneurs.
En 1923, Pierre reviendra au Maroc comme Capitaine. Il sera affecté à Fès comme régulateur auto. Jeanne et sa fille Hélène le rejoignent. En 1925, Fès sera l'objet d'un raid de rifains. Heureusement les farouches guerriers berbères n'oseront pas franchir un ultime pont qui leur aurait ouvert les portes d'une ville sans défenses. En décembre 1925 Charles vient voir ses fils au Maroc, il passera deux mois entre Fès et Meknes où son frère Paul s'est établi comme avocat. A cette occasion, Charles débutera une étude sur les armes marocaines que son fils fera publier après sa mort.
Pierre projette de créer un Musée militaire au Batha, palais de la vieille ville de Fès. Cela permettrait d'illustrer et valoriser la politique coloniale française. Ce projet qu'il prépare en s'appuyant sur sa connaissance des milieux museaux n'est pas retenu pour des problèmes de rivalités internes entre généraux.
Pierre en éprouve un vif dépit, il veut partir de l'armée et venir s'installer à Chambéry, peut être qu'une librairie l'aurait intéressé. Toujours est-il que son père le dissuade dans plusieurs lettres successives de quitter l'armée. Il le qualifie de "Mulet entêté" et le prévient avec force détails de la vie chère en France, du prix exorbitant des appartements, du prix du charbon et "du bougnat qu'il devra payer pour le (le charbon) monter dans son appartement".
A bout d'arguments, il conclut : " J'aurai la douleur de te voir pauvre et besogneux et de ne pouvoir t'aider".
Rien n'y fait, Pierre profite d'une loi de dégraissage des cadres de l'armée, il partira avec le grade de commandant. Poussé par son frère Paul, il prendra un lot de colonisation dans la plaine de Fès à Ras Tébouda. Ils passent la première année à la gare de Ras Tébouda, puis ils s'installent sur la ferme dans une maison préfabriquée de la CTM. Dans cette maison fruste, il y aura une pièce réservée aux livres. Le lot obtenu, est un terrain de 250 hectares, qui doit être mis en valeur selon un cahier des charges destiné à rendre les terres cultivables. Le terrain doit être "dédoumer", il s'agit d'enlever le doum un palmier nain qui infeste les terres, puis plantés avec au moins deux hectares d'oliviers. Au commencement, il achète un tracteur, une charrue à disques, un semoir. Pour semer le blé Pierre s'occupera du réglage du semoir, puis il laissera gentiment Jeanne se débrouiller avec les hectares à semer.
Ils ont ainsi planté 30 hectares de blé au début, puis au fur et à mesure de l'avancée du dédoumage jusqu'à 60 hectares. Il y aura aussi des petits pois sur un ou deux hectares et des fèves plantées à la main par les Marocains. La production est vendue aux Docks Silos, la coopérative de Fès et aux graines Clause. Il n'y avait pas d'eau sur cette ferme, et les avis étaient pessimistes sur les chances d'en trouver. Un puisatier a été appelé. Il s'est d'abord promené avec une baguette de coudrier sur le terrain, puis il a conclu qu'il y a un courant souterrain qui vient d'un village voisin situé au Nord, traverse la propriété en passant l'angle de la ferme. Il indique qu'il y a un courant de 3 cm de diamètre à une profondeur de 17 à 20 mètres. En fait, l'eau a été trouvée à 30 mètres, à 17 mètres il y avait une couche de sable qui était un ancien passage de l'eau.
La création de ce puits a permit d'assurer le bon fonctionnement de la ferme en abreuvant les bêtes et en arrosant les arbres nouvellement plantés. Dans une écurie avec un toit en tôle ondulée sont installées une vingtaine de vaches, puis un taureau zébu, aux yeux en amandes et au caractère doux. Quelques bœufs sont réservés pour le trait. Une vache est utilisée pour le lait et faire du beurre. Hélène s'occupera de la basse-cour. Pierre n'était pas intéressé par les travaux de la ferme, c'est Jeanne qui a "assuré un max". C'est elle qui dirigeait la ferme, avec une autorité naturelle auprès des marocains. Une fois, un jeune ouvrier marocain de 17 ans qui s'était lavé les pieds dans un seau d'eau destiné à désaltérer les ouvriers, chose qu'elle avait expressément défendu, a reçu une claque. Cela a fait date, ce fut la seule.
En 1930, Jeanne et Hélène reviennent en France. Elles rentreront en septembre pour reprendre les travaux de la ferme.
En février 1931, Paul viendra chercher Pierre pour l'emmener aux obsèques de leur père qui vient de mourir aux Balmes.
A la ferme, Hélène monte beaucoup, et très bien, à cheval, elle achète un cheval nommé Galopeur à un colon, le Commandant Etienne Lespinasse, de Matmata à 30 kilomètres de Ras Tébouda. Son fils Claude Lespinasse viendra volontiers voir si le cheval est bien soigné et ne manque de rien…. Cela se passait en 1931, Hélène se mariera avec Claude en 1932. Ils auront trois enfants : Bernard, Edmée et Henri.
Depuis 1933, Pierre a choisi d'écrire sous un pseudonyme. Dans une lettre à Félix Pavy, il indique "Il y a trois que j'ai pris ce pseudonyme qui t'amuse et t'intrigue. C'est But[Tin-Or]sat. Voila pour le début et puis Triqou, en arabe, c'est son "chemin", sa "voie". Je ne pouvais tout de même pas signer –de Savoie- le Roi d'Italie m'aurait poursuivi. Tinor de Triqou ne gène personne et si je dis des bêtises, on ne les imputera pas du moins aux Buttin".
Dans la même lettre, il continue : ‘’J'ai vraiment la foi astrologique. René prétend que cela sent le fagot ! Il ne sait pas. Saint Thomas d'Aquin a été astrologue très convaincu et les papes disent qu'en suivant sa doctrine on ne risque pas de s'égarer.’’
Pierre fera tout au long de sa vie de retraité, des études et recherches sur des sujets divers telles que la construction des pyramides d'Egypte, le Saint Suaire, les Astres, les prophéties de Nostradamus. Il fera les horoscopes de la famille à la main avec sa belle écriture.
En 1942, la conjoncture générale ne sera pas bonne. Pierre et Jeanne ont l'opportunité de vendre la ferme. Ils se mettent en location dans un grand appartement de la Place Lyautey, située dans le centre de la ville nouvelle de Fès. Jeanne, gravement malade, subit une opération à Casablanca. Ses médecins l'ont considéré comme perdue. Renvoyée à Fès, elle restera dans le salon sans en bouger pendant un an, puis peu à peu elle recommencera à se déplacer. Sa force de caractère et sa résistance physique prendront le dessus. Elle qui a fait preuve d'une belle capacité à être active, aura plus de difficultés à vivre en société.
Habitant Fès, Pierre participe de manière accrue aux activités des Amis de Fès, fait des conférences sur l'astrologie, la radiesthésie et publie des articles dans de nombreux journaux
Français du Maroc. Il fait paraître dans l'hebdomadaire "La Bougie de Fez" pendant plusieurs années une chronique "Autour de l'Astrologie". Il aborde aussi des sujets de vie sociétale : l'éducation des enfants et la circulation des piétons avec un article au titre percutant : ‘’Faut-il donner des mitraillettes aux piétons ! ‘’
En 1947, son frère François vient au Maroc, il loge de septembre 1947 à décembre 1948 chez Pierre, puis trouve un appartement où il installe sa famille. Paul le fait entrer au Tribunal de Fès comme expert et il obtiendra la gérance d'un portefeuille d'assurances. Une fois installé à Fès, François reprendra ses recherches sur les armes, il publiera plusieurs notices dans le Bulletin des Amis du Musée de l'Armée.
Sur le balcon de la salle à manger qui donne sur la Place Lyautey, où nous cherchions un peu de fraîcheur à la fin des chaudes après-midi de Fès, sous le vol en coup de serpe des martinets, Jeanne raconte, sans se lasser, à son petit-fils Henri les histoires de la ferme, le puits, les chiens, le zébu, les récoltes. Puis aussi la France, pays lointain au-delà des mers, mystérieux où il y avait des gens qui faisaient tourner des tables (la tante de Jeanne à Grenoble), d'autres qui se répartissaient des meubles, des draps, de la vaisselle dans une grande maison près de Rumilly (le partage des Balmes) et aussi une vielle maison dans l'Albanais à Pégy avec les corvées de linge, les gâteaux très sec d'une vielle dame dénommée Tante Ida et les sols en bois (!?!?) que l'on nettoyait à l'eau de Javel au printemps.
En octobre 1957, Pierre reçoit un télégramme lui apprenant le décès de son frère René à Pégy.
L'été se passait à Immouzer, village dans l'Atlas au-dessus de Fès, Pierre et Jeanne louaient une maison, ainsi que François, sa femme Edith, Jeannine et Charles, leurs enfants. Etienne Lespinasse y avait une maison avec un paddock pour son cheval. Les distractions étaient simples. Il y avait des baignades à la "Piscine", retenue d'eau, plutôt froide, aménagée dans un gros ruisseau. Il y avait aussi le lac Daït Aoua à une dizaine de kilomètres, les troupeaux de moutons venaient s'y abreuver. A la fête du 15 août, Bernard, fils d'Hélène, excellent nageur, attrapait des canards lâchés dans le lac pour l'occasion. Edmée, sa sœur, partait en métropole faire des compétitions d'athlétisme. Il y avait les premières surprises-parties.
Suite à l'indépendance du Maroc, Pierre et Jeanne ont préféré quitter un pays ou ils comptaient pourtant terminer leurs jours. De retour en France, ils aménagent dans l'appartement de la rue Juiverie qui a appartenu à René et qui était occupé par Jacques, son fils. L'appartement immense (400 mètres carrés), comporte un salon magnifique sur les murs duquel seront accrochées des panoplies d'armes blanches orientales.
Pierre reprend contact avec ses frères restés en Savoie, Georges à Annecy, Jean à Saint Girod et Louis aux Balmes. Il fait des conférences aux Amis du Vieux Chambéry, se passionne pour la thèse d'une fin de Jeanne d'Arc comme prisonnière au château de Montrottier. Il observe avec un œil très critique la manière avec laquelle un certain de Gaulle, qui n’est somme toute que son "cadet à Saint Cyr", dirige la France. Il va à la messe à la Sainte Chapelle, pendant l'office il s'installe au dernier rang de l'église et il distribue des bonbons aux enfants autour de lui. Ce qui ne se faisait pas sans entraîner une dissipation certaine parmi les chères têtes blondes, heureuses de profiter d'une distraction opportune, et un mécontentement rentré des parents qui perdaient le contrôle de leur progéniture (Scène rapportée par son petit-neveu Pierre, qui assiste, un peu embarrassé, à cette distribution intempestive et au débordement qu'elle produit).
La veille de sa mort, il dit à sa fille qu'il n'est pas éternel. Il suit avec beaucoup d'attention la messe que le prêtre vient dire puis il s'est éteint doucement le 9 février 1976. Jeanne, sa femme, était morte le 7 décembre 1966, à l'âge de 75 ans.